Délit de solidarité


Le délit de solidarité c’est quoi ? Conseils pour éviter de tomber sous le coup du délit de solidarité… Informations, réflexions :

« Solidarité, Hospitalité, Humanité : devoirs ou délits ? »

Compte rendu de la soirée du 7 décembre 2017 organisée par Tous Migrants 73
La soirée est organisée dans le cadre des États Généraux des Migrations lancés par 470 associations et ONG nationales et locales.

 

Un sujet qui intéresse les citoyens au delà des habituels clivages idéologiques.

Des habitants de toute la Savoie, de Aix à St Jean de Maurienne, 150 personnes en tout, ont participé à la réunion d’information citoyenne organisée par Tous Migrants sur le thème du délit de solidarité, ce 7 Décembre au cœur de Chambéry. Des représentants syndicaux aux militants des droits de l’homme, des courants écologistes aux représentants d’obédience cultuelle, la salle était un joyeux mais très attentif public. De nombreux élus de l’agglomération chambérienne (Cognin, Barby, St Baldoph, Chambéry…), de Chartreuse, de la Combe de Savoie,… étaient également présents.

Rien que dans le bassin chambérien, plus d’une centaine de migrants (fréquemment des mineurs) sont hébergés par des citoyens mus d’un même élan humanitaire.
Ces citoyens sont ils passibles de ce délit de solidarité ?

 

De la vigilance à la résistance citoyenne.

Les citoyens savoyards constatent que la situation dans les Alpes Maritimes est très tendue avec des procès inacceptables de personnes solidaires. Cette pression se déploie maintenant sur les Hautes Alpes avec l’arrestation de plusieurs citoyens venant en aide à des migrants et même un journaliste d’un média national.
Il y a clairement une volonté de répression qui remonte du Sud au Nord des Alpes.
En Savoie, la situation n’oblige pas à créer une résistance citoyenne pour l’instant (à l’instar de la Roya ou du Briançonnais): la répression n’existe pas. Mais vu le contexte, elle exige, pour le moins, une réelle vigilance.

Maitre Maeva Binimélis, du Barreau de Nice, engagée dans la défense des « solidaires » de la vallée de la Roya (Cédric Herrou et Pierre Alain Mannoni notamment) a précisé les termes de la loi, leurs limites. L’exposé simple et brillant a été littéralement capté, feuilles et stylo en main par un auditoire très concentré.

 

Le délit de solidarité c’est quoi ?

L’article 622-1 du Ceseda (Code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile) datant de 1945, vise à condammer « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». Ce délit est puni « d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Le texte, l’un des fondements juridiques de la lutte contre l’immigration clandestine, vise directement les filières de passeurs. La peine grimpant à dix ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende pour des faits commis « en bande organisée ». Nicolas Sarkozy et son ministre Eric Besson réactivent avec fracas ce texte de loi.

Depuis, sous le quinquennat Hollande, la loi a été légèrement modifiée. Elle vise à « exclure les actions humanitaires et désintéressées ». Désormais (mais peut-être pas pour l’éternité tant une loi peut se faire et se défaire…) aucune poursuite pénale ne peut être engagée lorsque l’aide incriminée « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte » et « consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger », ou bien « toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».

Rédigé comme tel, ce texte est une avancée par rapport à la formulation de Besson/Sarkozy…. Mais reste trop flou. Il permettra toujours de poursuivre des délinquants solidaires. En effet, son point faible est qu’il laisse une marge de manœuvre dans l’interprétation, notamment sur là où commence la menace à l’intégrité physique ou à la dignité. Qui, d’ailleurs, définit la dignité ? quelles sont les critères ?….

L’appréciation de la contrepartie peut aussi être flottante. L’action d’un migrant hébergé qui donne un coup de main au fonctionnement de la maison (faire la vaisselle, se rendre utile, s’occuper…) peut être, potentiellement, requalifiée par la police ou la justice comme une contrepartie indirecte ! (D’ailleurs, la contrepartie directe et indirecte a-t- elle une limite ? La satisfaction d’avoir agi en tant que « homme ou femme debout » , courageux et généreux, pourrait un jour être considérée comme une contrepartie immatérielle (narcissique ou pour gagner son paradis!)… non ?!! )

 

Les principaux conseils pour éviter de tomber sous le coup du délit de solidarité sont les suivants :

1- Ne pas baisser les bras et continuer de faire vivre la solidarité, d’accueillir chez soi, d’aider les étrangers, personnes vulnérables. (c’est par la pratique que le droit évolue !). Les citoyens peuvent aider des demandeurs d’asile, des étrangers qui arrivent sur le territoire, avant qu’ils aient déposé leur demande d’asile mais aussi des personnes déboutées (c’est à dire qui se sont vu refuser la demande d’asile et qui sont « invitées » à quitter le territoire) . Mais il faut prendre des précautions très claires et éviter, dans le contexte actuel, toute prise de risque inutile :

2- On peut nourrir, héberger, habiller des étrangers sans problème, y compris des déboutés, à condition de s’inscrire dans une démarche résolument humanitaire (quand, notamment, on pallie à l’absence de l’État ou des collectivités) et sans qu’il y ait de contrepartie directe ou indirecte (pas d’échanges financiers ou matériels).

3- Il est déconseillé de permettre à l’étranger d’élire domicile chez soi avec inscription de son nom sur la boite aux lettres. Cela peut être interprété comme une « aide au séjour ». (Pour autant, il faut bien que ces personnes aient une adresse, ne serait ce que pour recevoir les courriers de l’État, OFII…. Privilégier donc les adresses d’ONG ou poste restante)

4- Transporter des migrants dans sa voiture près de la frontière ou pour les conduire à l’OFII a déjà été considéré comme un acte d’aide à l’entrée sur le territoire (par similitude avec les usages des passeurs). C’est ce qui est reproché à Herrou et Mannoni. Deux interprétations sont possibles : si l’intégrité des migrants est en jeu (route dangereuse, route de montagne, nuit, état de santé des migrants, vulnérabilité…) il est plus facile (mais pas gagné du tout!) de considérer que le transport est une aide non condamnable. (Et inversement). Mais, en attente de jurisprudence, le transport de migrants avant qu’ils ne soient détenteurs d’un papier attestant qu’ils ont déposé une demande d’asile peut être jugé risqué.

5- En aucun cas, il faut passer une frontière avec un migrant dans sa voiture. C’est le cas où la défense est quasi impossible. (même pour raison humanitaire, même pour des membres de sa propre famille qui seraient sans papier officiel adéquat…)

 

Conseil en cas d’arrestation ou de perquisition :

– Ne pas accepter « d’audition libre » souvent présentée comme moins « grave », plus courte que « la garde à vue » : elle ne permet pas d’avoir immédiatement un avocat. Elle peut être présentée comme une discussion à l’amiable, « copain- copain » alors que le policier peut vous tirer des informations qu’il utilisera contre vous…

– Exiger d’être relâché immédiatement ou d’être mis en garde à vue officielle (ça ne dure que 48 h maximum , « c’est un mauvais moment à passer mais un pas vers la citoyenneté ! »)

– Prendre un avocat, absolument. Même s’il est « commis d’office »

– Règle d’or : ne rien dire, ne pas chercher à se justifier. Tout peut être retourné contre vous. Résistez aux injonctions de parler, SE TAIRE est un droit absolu. L’avocat aura plus de facilité, lui, à avancer les arguments sans tomber dans le piège des paradoxes de cette loi.

 

Deuxième temps de la soirée : réfléchir à des actions de solidarité à l’échelle de la Savoie.

Les idées ont été émises par des citoyens qui ont souvent investi dans leur mise en œuvre, sans attendre. En vrac :

– S’organiser dans la diffusion des informations, la coordination, le rassemblement de moyens de défense entre réseaux associatifs et citoyens pour réagir immédiatement si le contexte de répression venait à s’alourdir . Un collectif « anti-répression » a présenté ses actions.

– Être solidaire des « solidaires » des Alpes du Sud . Un rassemblement est prévu le 16 à Menton. Et un autre les 16 et 17 à Briançon (avec Edwy Plenel) dans le cadre des États Généraux des Migrations. Des membres de Tous Migrants 73 participent à ces 2 événements.

– Le 18 décembre et jusqu’à la fin de l’année, une action couvrant tous les départements de Auvergne, Rhône Alpes est organisée pour rappeler à tous les Préfets que des personnes dorment dehors dans tous les départements.

– Clarifier le point des assurances pour les activités des personnes accueillies, notamment les jeunes (activités sportives, assurance scolaire…) Mobiliser la MAE et le Secours Populaire qui ont un partenariat pour assurer les personnes vulnérables. Mobiliser son propre assureur…

– Organiser des réunions avec les Conseils Municipaux puis avec des réunions publiques dans les communes pour continuer à sensibiliser les habitants, faire tomber les peurs, faire se rencontrer migrants et habitants pour que progressivement les forces politiques tiennent compte d’un changement d’opinion publique (déjà très différent de ce que croient les responsables politiques en haut lieu : les français sont plutôt solidaires !)

– Rassembler des témoignages de migrants, rédiger avec eux des fascicules à diffuser sous forme d’ouvrages, de lecture publique, de spectacle…

– Essaimer chez les jeunes, à la fac, dans les lycées, multiplier les interventions

– Organiser un système de «Témoins Sentinelles» à l’instar du dispositif de surveillance de la répression lors du G7 à Thonon les Bains mis en œuvre par les ONG

– Créer un listing pour l’accueil d’urgence, le soir, pour les arrivées tardives, notamment les jours où la température est très basse (le camp n’est pas utilisable dans ces conditions). Personne ne souhaite compter un mort dans la rue à Chambéry cet hiver….

– Organiser et/ou participer aux 5 jours de marche « Semelles d’asile » avec un groupe européen en Juillet en Savoie

– Etc…

 

Au final, on constate que la présence de migrants sur notre territoire est salutaire :

Elle provoque un sursaut citoyen, elle favorise des rencontres. Elle revigore l’engagement et le partage, la réflexion sur les fondements de la démocratie et des droits de l’homme, la réflexion sur les inégalités internationales.
Il était temps !
« Si nous fermons la porte, c’est nous mêmes que nous enfermons », Si nous ouvrons la porte (et en aucun cas les citoyens œuvrent d’une manière ou d’une autre à un soi- disant « appel d’air » non vérifié), si nous l’ouvrons, nous nous ouvrons de nouveaux horizons. Le seul risque, ou plutôt la chance que cela induit, c’est le partage, au bénéfice de tous.

 

Tous Migrants

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